mardi 1 octobre 2013

Est-ce que ce travail compte, madame?

La semaine dernière, ma grande Florence, qui est en secondaire V, m'a parlé de son cours de français, entre autres pour m'apprendre que son enseignant privilégiait une méthode de notation particulière : la note d'étape sera basée sur l'évaluation d'un seul travail, étant entendu que les élèves auront toute l'étape pour devenir de plus en plus expert des notions à l'étude. Une évaluation sommative précédée de nombreuses évaluations formatives. Hum... L'idée n'est pas bête du tout, mais elle exige réflexion. J'y pense depuis une semaine et les questions fusent encore : Est-ce qu'on ne met pas trop de pression sur les élèves en basant leur note finale sur un seul travail? L'enseignant ne devrait-il pas plutôt cumuler des notes partielles pour permettre aux élèves plus faibles de glaner quelques bons résultats au passage? Et s'il le faisait, la note finale serait-t-elle valide puisqu'elle comptabiliserait des notes pour des apprentissages en progression? Est-ce que cet enseignant sait vraiment comment maximiser le potentiel de l'évaluation formative? 

Pour tenter de répondre à ces questions, j'ai cherché et trouvé sur le web (dès ma première recherche, en plus!) un document très intéressant de Gérard Scallon, professeur au département de mesure et d'évaluation de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval : L'harmonisation des fonctions formative et sommative de l'évaluation. Bingo!

M. Scallon remet en question toute l'arithmétique à la base du calcul traditionnel des notes scolaires. Il démontre ainsi comment il est aberrant d'attribuer des notes finales par cumul de notes partielles ou par moyenne, méthodes qui pénalisent les élèves qui apprennent plus lentement, et qui enlèvent tout droit à l'erreur ou à l'expérimentation. Il insiste aussi sur le fait que l'évaluation formative ne devrait pas entrer dans le calcul d'une note finale, car elle constitue un « portrait passager, fugitif, de l'état de la progression d'un élève », portrait modifiable par des interventions correctives ou de type feed-back de la part de l'enseignant. Il est catégorique : l'addition de résultats partiels, modifiables dans les temps, invalide l'évaluation sommative et ne peut remplacer le jugement que l'enseignant porte au terme d'une progression. (Je mets ce mot en italique, car je ne sais pas trop ce qu'il entend par progression. Est-ce séquence d'enseignement sur un thème donné ou est-ce un terme encore plus long, comme une étape entière? Personnellement, je vote pour l'option 1.)

M. Scallon évoque d'autres arguments en défaveur de la comptabilisation de l'évaluation formative : le fait qu'elle ne soit pas toujours notée avec un chiffre; le fait qu'elle serve parfois à évaluer non pas les apprentissages, mais le contexte pédagogique; le contexte de l'évaluation formative : auto-correction, exercices à la maison, travail en équipes, etc. 

Ainsi, l'auteur attribue à l'évaluation formative une valeur qualitative plutôt que quantitative et appelle à la considérer à nouveau pour ce qu'elle est : un moyen de contrôle continu des apprentissages, qui permettra de guider les élèves, de revenir sur des notions mal comprises et de suggérer des moyens de s'améliorer et de cheminer vers la maîtrise des notions à l'étude. C'est là la seule manière de porter un jugement éclairé et juste sur la compétence des élèves. Ce sont les principes à la base de l'authentic assesment. Alors à l'éternelle question Est-ce que ce travail compte, madame?, vous saurez maintenant quoi répondre!

Le port-folio (qui n'est pas une idée nouvelle, mais qui l'était, en 1999, au moment où cet article a été publié), est un moyen de conserver les traces de la progression des élèves. 

« (Le port-folio contiendra) des échantillons de production des élèves, non forcément réussies au tout début, suivies de commentaires de l'enseignant et/ou de l'élève. L'élève peut ainsi indiquer sa prise de conscience des difficultés rencontrées ou des fautes commises et des moyens qu'il a pris pour y remédier. Les productions échantillonnées peuvent témoigner d'une amélioration continue en ayant toujours comme préoccupation de s'assurer que l'élève en est conscient. (...) Sachant qu'un élève a pris conscience de ses difficultés, sachant qu'il a pris toutes les mesures pour y remédier, sachant qu'il s'est graduellement approché de la compétence visée, a-t-on besoin d'un rituel particulier pour vérifier de nouveau cette compétence? » 

L'auteur suggère-t-il qu'en procédant ainsi on n'a plus besoin d'administrer d'évaluation sommative? Je ne l'avais pas vue venir, celle-là! Bonne question. Et vous, qu'en pensez-vous? 

Pour ma part, j'ai encore besoin d'y penser. En attendant d'en reparler, je vous encourage à lire cet article fort intéressant en suivant le lien www.fse.ulaval.ca/gerard.scallon/fascicules/harmoni.pdf


3 commentaires:

  1. Excellente réflexion ! Dans les faits, je hais les évaluations notées (j'exagère à peine), mais l'expérience me dit aussi que les élèves trouvent une motivation dans le fait que l'activité d'apprentissage soit notée. Sinon, ils ne voient pas l'intérêt de le faire, leur apprentissage étant le dernier de leur souci (pour certains du moins).

    Je trouve difficile de réconcilier les deux fonctions de l'évaluation, soit guider l'apprentissage et sanctionner. C'est la deuxième fonction qui m'a toujours bouleversée. Et je pèse mes mots. Non seulement je n'éprouve aucun plaisir à faire échouer quelqu'un, mais cela me met tout à l'envers. Au secondaire, lorsqu'il y avait les 4 bulletins, on nous demandait dès octobre d'évaluer avec une note. Tu parles d'une incohérence ! Comme si, en deux mois (dont un de prise de contact), on avait le temps d'enseigner quelque chose en profondeur.

    Pour être vraiment honnête avec toi, si je pouvais me passer d'évaluer au sens de sanctionner, je le ferai.

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  2. C'est la première fois que je m'interrogeais sur la fonction et la validité de l'évaluation. Les questions sont intéressantes, et les réponses, bouleversantes, oui, et frustrantes, car on n'a pas le choix de se plier aux façons de faire du MELS. Et puis encore la fameuse question : Accepteriez-vous de vous faire soigner par un médecin qui a simplement pris conscience de ses erreurs?? Bon, ma question est boiteuse, mais tout de même, elle fait aussi surgir la question de la validité des diplômes ou encore de la subjectivité de l'enseignant qui évalue. Comment faire en sorte que nous-mêmes, en tant qu'enseignantes, nous ne tomberons pas dans le panneau de la subjectivité? Nous avons un chapitre traitant de l'évaluation dans notre livre Didactique du français langue première (oui, oui, le livre qui dit des gros mots!). Je vais y plonger et vous en reparler.

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  3. En fait, je dois parfois dire à certaines étudiantes qu'elles n'ont pas les compétences nécessaires pour passer mon cours. Quand je le fais, c'est que je suis persuadée qu'en l'état actuel, les perdants seront les élèves. Il m'arrive de rêver à une évaluation succès/échec - avec des commentaires évidemment. Mais c'est incompatible avec tout notre système de bourses académiques, etc.

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