dimanche 6 octobre 2013

Objectivité ou subjectivité ? Là est la question.

Une deuxième chronique sur l'évaluation, parce que le sujet est crucial en enseignement. Et, découlant de ce sujet crucial, un aspect chaud et parfois tabou : la subjectivité de l'enseignant qui évalue.

Rappelez-vous quand vous étiez élève ou étudiant. Avez-vous déjà eu l'impression que vous avez eu une moins bonne note sur un travail parce que vous sentiez que l'enseignant en avait contre vous? Avez vous déjà tenté de devenir ami avec votre enseignant dans le but d'obtenir une meilleure note à l'évaluation finale? Avez-vous déjà cru que votre note aurait été meilleure si c'était tel autre enseignant qui avait corrigé votre copie? 

Le sujet est de plus en plus discuté dans le milieu enseignant : les notes accordées aux travaux d'élèves ne reflètent pas toujours le degré de maîtrise d'un objet d'étude d'un élève ou du degré de compétence de celui-ci. Parfois, l'enseignant base son évaluation, consciemment ou non, sur des facteurs extérieurs à la situation d'évaluation, comme le type de relation qu'il entretient avec la personne évaluée et les sentiments qu'elle a à l'égard de cette dernière. C'est ce que F. M. Gérard appelle la dimension arbitraire de l'évaluation. « Une évaluation arbitraire serait celle qui procéderait « n'importe comment », sans se fonder sur une démarche consciente, rigoureuse, critique. » 

Logiquement, on est porté à dire que le processus d'évaluation doit devenir objectif pour être valide. Cependant, limiter l'évaluation à ce qui est objectif comporte un risque, car elle élimine tout ce qui proviendrait de la pensée. En 1992, Jean Cardinet abordait cette question de l'objectivité en évaluation. Selon lui, :

  • l'objectivité est nécessaire : l'évaluateur doit savoir exactement ce qu'il évalue, et l'évalué doit connaître sa vraie valeur;
  • l'objectivité est souhaitée : pour faire en sorte que l'évaluation d'objets semblable mène aux mêmes décisions finales, peu importe l'enseignant et l'évalué, d'autant plus que ces décisions ont parfois des conséquences importantes, comme la réussite ou l'échec;
  • mais l'objectivité est impossible : il existe certes des programmes scolaires précis, mais d'autres aspects aléatoires entrent aussi en ligne de compte, comme l'idée que se fait l'enseignant du résultat visé, de la démarche requise et de la capacité ou compétence évaluée; les conditions d'observation, telles la forme et le moment de l'évaluation et les modes de correction; les exigences de l'évaluateur, etc. 
  • donc l'objectivité est à rejeter : pour y arriver, il faudrait rendre parfaitement objectifs tous  les objectifs d'apprentissages, tous les critères, tous les indicateurs, etc. Cela aurait pour conséquence de mener à une homogénéité extrême des apprentissages, ce qui n'est pas souhaité du point de vue social.
Ainsi, la subjectivité est nécessaire en évaluation, au sens où l'évaluateur doit faire plusieurs choix. Il s'agit donc d'assouplir l'objectivité en faisant place à la subjectivité et d'encadrer la subjectivité pour ne pas tomber dans l'arbitraire. Voici une démarche pour encadrer l'acte d'évaluation.

1. Choix de la décision finale : le résultat de l'évaluation aura pour conséquence de décider si l'élève peut passer au niveau scolaire supérieur ou permettra à l'enseignant de l'aider dans la suite des apprentissages? La décision finale permettra de déterminer les objectifs de l'évaluation.

2. Le choix de la stratégie : quel moyen sera le plus approprié pour vérifier ce qu'il faut vérifier? Pour vérifier si l'élève sait comment rédiger un texte argumentatif, l'enseignant va-t-il demander à l'élève de décrire les différentes étapes de rédaction ou plutôt lui demander d'en rédiger un? 

3. Choix des critères : le critère est la qualité attendue de l'objet évalué. Selon Gérard, les critères choisis doivent être pertinents, indépendants, c'est-à-dire ne pas entraîner la réussite ou l'échec d'un autre critère, peu nombreux, (pour simplifier l'évaluation et parce que la perfection n'est pas de ce monde...) et pondérés, c'est-à-dire qu'on aura attribué un certain nombre de points à chaque critère. Le choix des critères est une étape délicate. Il faut choisir les bons critères pour, au bout du compte, prendre la bonne décision. 

4.  Le choix des indicateurs : comment l'enseignant pourra-t-il observer, constater de visu, que le travail de l'élève correspond aux critères d'évaluation? Les indicateurs doivent être pertinents selon les critères choisis. Ils peuvent être des faits ou des représentations (ce que la personne pense ou dit). Ils peuvent aussi être quantitatifs contenir tant d'adjectifs, tant d'adverbes par exemple, ou retrancher 1 point toutes les deux fautes) ou qualitatifs. 

L'établissement de critères et d'indicateurs permettra de construire une grille d'évaluation, outil concret pour rendre l'acte d'évaluation plus structuré. Elle servira de guide à l'enseignant au moment de la correction des travaux ou examens Cette même grille devrait être également remise à l'élève, pour lui permettre de vérifier, tout au long de la production du travail demandé, si son travail répond bien aux exigences de l'enseignant. 

5. Le jugement de valeur : c'est ici que se situe le coeur de l'acte d'évaluer. L'enseignant doit analyser la production de l'élève et juger si les indicateurs qu'il y trouve correspondent aux critères attendus. Il porte alors un jugement de valeur sur le travail de l'élève. En fondant son jugement sur un processus rigoureux et structuré, on assure une plus grande justesse des résultats accordés. 

Selon moi, il reste encore une zone floue ici. Est-il possible que, au moment de poser un jugement de valeur, 
le jugement de l'enseignant soit altéré par d'autres critères que ceux qu'il a lui-même mis de l'avant, comme des facteurs d'ordre émotif ou relationnel? La réponse est oui. Et même nous, futures enseignantes conscientes de cet état de faits, ne sommes pas à l'abris de cela. 

Comment réagiriez-vous si un élève vous accusait de l'avoir sous-évalué soit disant parce que vous ne l'aimez pas? Personnellement, je crois que je me rassoirais avec lui et lui expliquerais comment j'ai évalué son travail en m'appuyant sur la grille de correction. Que faire si ses doutes persistent, et si, par surcroît, cet élève est en situation d'échec? Serai-il juste et équitable pour les autres élèves de demander à un autre enseignant de corriger à nouveau son travail à l'aide de la même grille d'évaluation? Pour éviter tout jugement de valeur indu, devrions-nous demander à nos élèves d'identifier leurs travaux à l'aide de leur matricule au lieu de leur nom?

Qu'en pensez-vous? Quelle serait votre solutions? Je vous laisse mijoter sur le sujet et attends vos suggestions. 

Voici les deux articles qui ont guidé ma réflexion : 
http://www.bief.be/index.php?enseignement/publications/lindispensable_subjectivite_levaluation&s=3&rs=17&uid=104&lg=fr&pg=1

Simard, C., Dufays, J.-L., Dolz, J et Garcia-Debanc, C. (2010). L'évaluation du travail des élèves. Dans Didactique du français langue première, Bruxelles, Belgique, de Boeck.

3 commentaires:

  1. Personnellement, quand je corrige des travaux (j'en ai corrigé au collégial et au baccalauréat) je ne regardais tout simplement pas les noms « au cas où ». J'essayais toujours de faire preuve d'objectivité, mais parfois c'est difficile. Par exemple, seule la calligraphie d'une personne peut venir nous titiller ou nous irriter au point où on serait porté à enlever des points pour ça. Niaiseux hein?

    Mais c'est sûr que si tu as une grille d'évaluation qui respecte les différents principes en évaluation et qui possède des indicateurs très clairs, la subjectivité aura moins de place dans ton évaluation. Enfin... espérons-le!!

    :)

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  2. La grille d'évaluation (ou quelque chose d'équivalent) est absolument nécessaire pour soutenir et justifier l'évaluation. Pour ma part, je suis incapable de corriger en l'absence d'une grille et mes consignes sont pensées en fonction de celle-ci. Mais, pendant la correction, je me rends parfois compte de certains trucs et j'apporte alors des correctifs (presque toujours en faveur des étudiants). En enseignement supérieur, il arrive que l'évaluation soit contestée : si la contestation est jugée recevable, c'est un comité qui se penche alors sur les travaux de l'étudiant.
    En ce qui concerne l'évaluation (correction) des travaux en français, il y a un excellent ouvrage de vulgarisation scientifique de Julie Roberge (Corriger les textes de vos élèves). Elle aborde cette question de la subjectivité, entre autres choses.

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