samedi 14 décembre 2013

Savez-vous lire?


« Bien sûr que je sais lire », me répondrez-vous. « C'est facile, regarde : Il était une fois un jeune et beau prince, malheureusement pas très futé. Un jour, ... » Tu vois bien que je sais lire. » 

L'acte de lire est cependant plus complexe que cela. C'est un geste qui désigne certes le décodage de mots et de phrases, mais également le décodage de différents genres littéraires pour en extraire le sens ou l'essence. Lire est une activité qui met en interaction trois acteurs indissociables. Et surtout, lire est une constante opération de construction de sens. 

Paru en 2010, le livre Didactique du français langue première de Simard, Dufays, Dolz et Garcia-Debanc explicite la complexité de l'acte de lire. Le texte qui suit résume les propos de ces auteurs sur le sujet. 

Lire : un acte individuel et social

Lire est d'abord un acte personnel. Chacun lit pour atteindre un but différent : apprendre, s'informer, se détendre, faire un travail scolaire, réfléchir sur des thèmes et des questions qui l'interpellent, etc. Ensuite, chacun construit le sens d'un texte lu (roman, article de journal, revue scientifique, etc.) à partir de ce qu'il est : son bagage d'expériences de vie et de connaissances sur le monde. 

Évidemment, l'individu se définit aussi à partir de la société et de la culture où il évolue. Dans cette perspective, le texte devient alors un objet socioculturel, qui sera reçu, analysé, interprété par divers lecteurs à partir de valeurs et codes partagés par les membres de cette même société, ce qu'on appelle le sens commun. Ainsi, un lecteur construit le sens d'un texte à partir de facteurs qui lui sont propres en tant qu'être unique, mais également à partir de facteurs communs à toute une société.

Les variables de la lecture

Jocelyne Giasson, chercheuse québécoise phare dans le domaine de la lecture s'intéresse principalement aux différentes interventions en lecture et aux lecteurs en difficulté. Selon elle, trois variables interviennent dans l'acte de lire. Il y a d'abord LE LECTEUR, qui reçoit un texte avec tout ce qu'il est : ses connaissances sur le monde et sur le langage, mais aussi ses expériences de vie, qui vont teinter sa lecture de réactions, d'émotions et de réflexions en lien avec ses expériences. Ainsi, lire et comprendre ce qu'on lit sont, en partie, des actes émotifs. La compétence du lecteur, qui se traduit par la mise en oeuvre de divers  micro, macro et métaprocessus, teintera également sa relation au texte qu'il lit. 

Entre aussi en jeu LE TEXTE lui-même, soit sa forme (article de journal, texte argumentatif, article scientifique ou documentaire, roman, etc.), son contenu (idées, thèmes, aventures, information, etc.) et l'intention de l'auteur (faire rire, convaincre, décrire, informer, etc.) 

Enfin, LE CONTEXTE, qui est tant psychologique (son intention de lecteur, c'est à dire pourquoi il lit, et sa motivation ou son intérêt à lire), social (les valeurs commune aux membres d'une même société ou culture d'attache) que physique (le bruit ambiant ou la taille du texte peuvent être des obstacles à la lecture).

Les processus de construction du sens
Construire le sens d'un texte est aussi un processus complexe, qui mobilise quatre types d'opérations qui s'effectuent simultanément : l'orientation préalable, les modes de lecture, les phases de la construction du sens et les options évaluatives. 

La phase d'ORIENTATION PRÉALABLE concerne les objectifs de la lecture. En précisant pourquoi il lit, le lecteur détermine ce qu'il cherche comme information ou réaction à la suite de sa lecture. Ainsi, pour un texte donné, deux lecteurs aux intentions de départ différentes l'interpréteront différemment, lui donneront un sens différent, selon l'intention de lecture de départ. Autre facette de cette phase d'orientation préalable, le précadrage est la mise à niveau des connaissances de base nécessaires à la compréhension d'un texte. 

Les MODES DE LECTURE désignent pour leur part les différentes attitudes, ou perspectives ou lunettes avec lesquelles on lit un texte. Ces postures vont teinter la lecture et influencer le sens que l'on donne au texte et varient selon le type de texte. Ainsi, la relation au texte sera plus participative et fera intervenir davantage le niveau affectif et les émotions (lorsqu'on lit un roman pour le plaisir). La relation sera par ailleurs plus distanciée et mener vers la critique ou l'analyse (lors d'une lecture scolaire ou universitaire). La relation au texte pourra également osciller entre les deux postures précédentes et ainsi permettre une expérience de lecture plus riche. Le journal explicatif de lecture est une activité scolaire qui permet de faire prendre conscience de la richesse d'une telle expérience participative et analytique de lecture. 

Autre processus en jeu lors de la lecture, la CONSTRUCTION DU SENS du texte, qui s'effectue à plusieurs niveaux. La compréhension locale, où on identifie les mots et leur sens. La compréhension globale, où on comprend le sens global du texte (par la reconnaissance du genre de texte et de la structure qui lui est propre, les connecteurs textuels assurant la fluidité et l'agencement des idées et les inférences). La lecture de texte littéraires laisse parfois le lecteur dans l'incertitude, ce qui l'amènera souvent à formuler des hypothèses (pour combler les incertitudes et le manque de compréhension), comme Je crois qu'il va se produire ceci, Je crois que tel personnage est l'assassin, etc. Ces hypothèses seront confirmées ou infirmées en continuant de lire le récit.

Dernier processus, l'ÉVALUATION DU TEXTE est l'étape où le lecteur apprécie le texte lu, selon qu'il est conforme ou non à ses goûts et ses valeurs, mais aussi aux valeurs de société. 

La lecture est un acte complexe, disions-nous, et il est nécessaire d'en enseigner toutes les facettes en classe de français. Cet enseignement se heurtera cependant à plusieurs obstacles, dont il faudra prendre compte pour adapter ses méthodes didactiques. Ce sera l'objet de notre prochain billet. 

Pour lire le texte complet ou pour un complément d'information : 
Simard, C. Dufays ,J.-L., Dolz, J. et Garcia-Debanc, C. (2010) La lecture. Dans Didactique du français langue première, (223-236), Bruxelle, Belgique, De Boeck.

2 commentaires:

  1. Lire : une activité cognitive particulièrement complexe. Au secondaire, les difficultés des élèves présentent des causes variées et appellent des interventions différentes.

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  2. Oui, et j'ai vraiment hâte d'aborder ce sujet lors du prochain cours de didactique, en janvier prochain... Au plaisir!

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